LA BATAILLE DE NAVARIN

Parmi les ex-voto qui ornent la statue de Notre-Dame-de-Bon-Port, figure une croix de la Légion d'Honneur. Celle gagnée par Jacques Magnique à la célèbre bataille navale de Navarin le 20 septembre 1827.

Ce jour-là, les escadres de la Triple Alliance - Angleterre, France et Russie - prenaient contact de la flotte turco-égyptienne, forte de quinze navires, au large de la ville maritime de Grèce, Navarin.

Au signal "Vue de l'ennemi" elles se mettaient en branle-bas de combat et bientôt l'action est engagée sur toute la ligne. Les vaisseaux se rapprochent tellement qu'on se bat à portée de pistolet. Les décharges d'artillerie crèvent les murailles des navires, de la ligne de flottaison jusqu'aux plats-bords ; elles hachent les gréements et la voilure.

Au plus fort de cette pluie de fer et de plomb, la frégate française La Syrêne bat pavillon amiral. Une longue amarre l'attache au vaisseau le plus proche et assure son embossure dans la direction la plus favorable au combat. Soudain, un projectile coupe cette embossure et le navire amiral, désemparé d'un de ses points d'attache, se trouve pris en enfilade par le tir de trois corvettes turques qui le dominent par l'arrière.

A bord de La Syrène sont embarqués trois marins d'Antibes, Magnique, Isnard et Monticelli, et, lorsque l'Amiral demande un volontaire pour rattacher l'amarre coupée, les trois Antibois se présentent d'emblée.

Une décharge turque fauche Isnard qui tombe et trouve une mort glorieuse, mais Magnique n'hésite pas. Il se jette à la mer, muni d'une ligne de loch et nage sous le crépitement des balles, vers la frégate alliée la plus rapprochée.

Balles, mitrailles, boulets pleuvent autour de lui ; un projectile de mousquet lui érafle le ventre et il en portera la marque sa vie durant. Mais rien ne l'arrête. Il n'a qu'un souci, mener à bonne fin la mission que vient de lui confier son Amiral.

Il atteint enfin la frégate anglaise vers laquelle il se dirigeait. Une aussière est fixée sur l'extrémité de la ligne de loch et La Syrène, après avoir repris son embossure, est de nouveau en position de rendre coup pour coup à l'ennemi, jusqu'à l'anéantissement de la flotte turque.

Après Navarin, La Syrène rentre à Toulon, ayant perdu un mât, avec soixante-dix-sept blessés et quarante-huit morts dont l'Antibois Isnard.

Jacques Magnique, en récompense de son courage et de son dévouement, est nommé Chevalier de la Légion d'Honneur et son dernier désir sera qu'à sa mort sa croix soit offerte à la Vierge-de-Bon-Port.

Le plus heureux des trois Antibois de Navarin fut sans conteste Monticelli. Il revint indemne de ce mémorable combat naval et en fut un de ses rares survivants. Il vivait toujours à la fin du siècle dernier. A presque quatre-vingt-dix ans, il suivait encore le cortège qui, selon la coutume traditionnelle, amenait dans les murs d'Antibes la Vierge protectrice des marins.

Et, la Légion d'Honneur de Notre-Dame, à demi perdue dans les plis de son manteau, lui remémorait à chaque fois le glorieux combat des Antibois de Navarin. Un combat où s'est manifesté le courage la vaillance et la conduite héroïque de trois marins d'Antibes.


Pierre Tosan

Echos et visages d'Antibes (D'après L'Avenir d'Antibes du 12 juillet 1891.)

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