LA LEGION D'HONNEUR
Petit rappel de son histoire
Quelques mois avant la célébration du bicentenaire de la création
de l'Ordre par Bonaparte, il ne paraît pas inutile de rappeler brièvement
l'histoire de sa création et de son évolution jusqu'à nos jours.
Le Premier Consul, ayant assis son autorité et son pouvoir, voulut
créer une élite dans l'Etat, faisant surgir les citoyens qui, sur tous les
plans, honoraient cet Etat, et souhaitant qu'ils fussent eux-mêmes honorés.
Dans son esprit, ces citoyens se distinguaient aussi bien sur le plan
militaire, par des actions d'éclat ou des services particuliers, que sur le
plan civil, par des actions remarquables dans tous les domaines où ils
servaient leur pays et le faisaient connaître. Aussi faut-il faire justice de
l'opinion souvent exprimée par des personnes ne connaissant pas la question et
suivant laquelle l'Ordre aurait été créé pour des militaires. Justement,
Bonaparte tint beaucoup à ce que le nouvel Ordre se distinguât à ce sujet de
l'ancien Ordre royal et militaire de Saint-Louis, aboli sous la Révolution, et
réservé à des officiers catholiques. Seule la couleur rouge du ruban devait
être le point commun.
Il faut rappeler que les décorations avaient été supprimées par
décret de la Constituante du 30 juillet 1791 ; cependant, ainsi que les
défenseurs du projet ne manquèrent pas de le signaler dans les assemblées, les
militaires étaient récompensés par des brevets, des armes d'honneur ou des
cuirasses d'honneur, aussi appréciées qu'encombrantes, et des médailles furent
instituées sous la Révolution elle-même. Le principe des distinctions restait
si fortement ancré dans les esprits que la Constituante s'était réservé
"de statuer s'il devait y avoir une décoration unique pour récompenser les
vertus, les talents et les services rendus à l'Etat".
Bonaparte indiqua à ses fidèles qu'il voulait "donner à un
ensemble d'élites une communauté de vues, une direction, un lien, celui de
l'honneur, en dehors des questions de partis qui avaient si longtemps divisé et
divisaient encore la France". On croirait entendre un contemporain! Le
pouvoir, quel qu'il fut, devait y puiser une véritable force par la
concentration sans distinction d'origine des meilleurs parmi les plus
méritants, "sorte de phalange sacrée... rendue, au moyen d'une dotation
spéciale, indépendante du trésor public".
D'emblée, le projet suscita une vive hostilité dans les milieux
dirigeants, qui comportaient nombre d'anciens jacobins toujours drapés dans les
idéaux révolutionnaires d'égalité et de suppression de toutes distinctions
entre les gens. Pour ceux qui faisaient référence à l'histoire romaine
Bonaparte, répondant au conseiller d'Etat Berlier, s'écria: "On nous parle
toujours des Romains ; il est assez singulier que, pour repousser les
distinctions, on cite l'exemple d'un peuple chez lequel elles étaient le plus
marquées. Est-ce là connaître l'Histoire? Les Romains avaient des patriciens,
des chevaliers, des citoyens et des esclaves. Pour chaque classe, ils avaient
des costumes, des mœurs. Ils décernaient en récompense toutes sortes de
distinctions, des noms qui rappelaient des services, des couronnes murales, des
triomphes... Je défie qu'on me montre une république ancienne ou moderne dans
laquelle il n'y a pas eu de distinctions. On appelle cela "des hochets" ;
Eh bien, c'est avec des hochets qu'on mène les hommes. L'on convient qu'il nous
faut des institutions ; Si l'on ne trouve pas celle-là bonne, qu'on en propose
donc d'autres ! Je ne prétends pas qu'elle doive sauver la République ou l'Etat,
mais elle y jouera son rôle". Le second consul appuya le projet en
s'attachant principalement à prouver que la Constitution ne condamnait pas les
distinctions. Portalis soutint aussi ce thème, et cita Jean-Jacques Rousseau
sur l'utilité des signes extérieurs dans une Société.
Le projet enfin rédigé, fut soutenu par Portalis, Dumas, Roederer,
Marmont, De Chamberet, Cambacérès. Mais l'opposition était importante, et le
projet, combattu par Laquée, Emmery, Berlier, Bérenger, Jolivet, Defermont,
Cretet, Réal et surtout Thibaudeau, ne recueillit que 166 voix contre 110 au
Corps Législatif, que 50 voix contre 38 au Tribunat. La loi fut promulguée le
30 floréal an X (20 Mai 1802); elle suscita l'enthousiasme populaire. Il y eut
toujours l'opposition farouche des ennemis jurés du Premier Consul, tels Mme de
Staêl, Moreau, Rochambeau, La Fayette, Augereau pour quelques années du
moins... Bien entendu, les opposants se rallièrent quand il s'agit, plus tard,
d'être décorés... Nous ne savons pas si Thibaudeau, lui qui, au début de l'an
1802, disait que "nulle institution n'éprouva une opposition plus
imposante", changea d'avis, ni s'il fut un jour décoré, ce qui ne serait
guère surprenant! A ceux qui, tel Berlier, avaient prétendu que "l'Ordre
proposé conduisait à l'aristocratie", Bonaparte répliqua qu'au contraire,
"(la Légion d'honneur) unirait par une distinction commune des hommes déjà
unis par d'honorables souvenirs", et "qu'elle effacerait les
distinctions nobiliaires qui plaçaient la gloire héritée avant la gloire
acquise, et les descendants des grands hommes avant les grands hommes".
"C'est, disait-il encore, une institution politique qui place, dans la
société, des intermédiaires par lesquels les actes du pouvoir sont traduits à
l'opinion avec fidélité et bienveillance, et par lesquels l'opinion peut
remonter jusqu'au pouvoir (On ne dirait peut-être plus cela de nos jours...).
C'est une institution militaire qui attirera, dans nos armées, cette portion de
la jeunesse française qu'il faudrait peut-être disputer, sans elle, à la
mollesse, compagne de la grande aisance. Enfin c'est la création d'une nouvelle
monnaie d'une bien autre valeur que celle qui sort du Trésor Public, d'une
monnaie dont le titre est inaliénable, et dont la mine ne peut être épuisée,
puisqu'elle réside dans l'Honneur français; d'une monnaie enfin qui peut,
seule, être la récompense des actions regardées comme supérieures à toutes les
récompenses". Ainsi, le nom même de "légion d'honneur" était en
rapport avec certains principes à la base de la nouvelle institution :
"auxiliaire des lois de la République, payant aux services militaires
comme aux services civils, le prix mérité du courage montré par tous, les
confondant dans la même gloire comme la Nation les confond dans sa
reconnaissance...".
Le nouvel Ordre, créé le 29 floréal an X, loi, nous l'avons dit,
promulguée dès le lendemain, comportait six mille membres à là première
promotion. Les ministères reçurent l'ordre d'établir des listes de
propositions. Il y avait en outre les titulaires d'armes ou de cuirasses
d'honneur, membres de droit, et les premiers décorés le furent en 1804. L'Ordre
se composait de chevaliers, dont la croix à cinq branches bifides émaillées de
blanc s'attachait au ruban rouge par une bélière dont la partie inférieure a
figuré une couronne impériale, puis royale, à laquelle succédèrent sous les
républiques des demi-couronnes, de chêne à gauche, de laurier à droite. Les
branches de l'étoile étaient reliées par des couronnes inverses, de feuilles de
laurier à gauche, de feuilles de chêne à droite. Au centre, un petit médaillon
arrondi portait l'effigie de Bonaparte et de Napoléon dès l'avènement de
l'Empire, avec en exergue l'inscription "Napoléon emp. des Français",
inscription remplacée au revers par "Honneur et Patrie", "29
floréal an X" encadrant deux drapeaux entrelacés. L'insigne d'officier
était comparable, mais l'or remplaçant l'argent dans toutes les parties
argentées, et un nœud ornant le ruban (plus tard, le nœud sera remplacé par une
rosette à plis concentriques et à pourtour cylindrique). Le troisième grade
était celui de "commandant", nom qui fut remplacé par celui de
"commandeur" pour éviter les confusions chez les militaires. Enfin,
une dignité de grand officier surmontait les grades. C'est seulement en janvier
1805 qu'une dignité suprême de "grande décoration" ou "grand
aigle" fut créée, pour les principaux personnages de l'Etat, et les
souverains ou grands dignitaires étrangers. Sauf pour cette dernière dignité,
il fallait franchir les différents grades sans pouvoir accéder aux principaux.
Les Grands-Aigles furent attribués d'emblée, et ils portaient l'écharpe et une
plaque en vermeil. Les commandeurs portaient (ils l'ont toujours) un collier en
sautoir, dit "cravate". Le premier Grand Chancelier désigné par Bonaparte
fut le savant Lacépède. Il présidait l'Ordre, témoignait de l'intégrité de ses
membres, organisait les réceptions des nouveaux légionnaires. Déjà, l'on
parlait de "nomination" pour les nouveaux chevaliers, de
"promotion" pour l'obtention des grades suivants ou des dignités.
L'ordre fut articulé, selon sa répartition géographique, en
"cohortes", dirigées par des maréchaux et par l'amiral Decrès,
cohortes qui ne survécurent pas à l'Empire. Les premières distributions
collectives de croix eurent lieu le 15 juillet 1804 au Temple de Mars (chapelle
Saint-Louis des Invalides) pour des civils et des militaires, puis le 16août
1804 au camp de Boulogne, où étaient rassemblées les troupes qui devaient en
principe débarquer en Grande-Bretagne, pour des militaires. Bonaparte, devenu
l'Empereur Napoléon depuis le mois de mai 1804, voulut qu'un grand faste
entourât ces cérémonies, la première donnant lieu à un somptueux cortège
impérial et à un discours de Lacépède, la seconde à une prise des croix par
l'Empereur assis sur le trône de Dagobert dans des armures portées jadis par
Bayard et Du Guesclin. Napoléon les remettait lui-même aux nouveaux
légionnaires, qui devaient prêter serment (il n'en sera pas de même pour les
dignitaires étrangers). D'immenses acclamations retentirent au cours des deux
cérémonies.
Un petit détail curieux vient à l'esprit. Comment David, en
peignant "le sacre", peut-il représenter les grands personnages de
l'entourage impérial avec les insignes de "grand-aigle"? Le sacre est
du 2 décembre 1804; la dignité de grand-aigle ne fut créée que l'année
suivante. Le peintre, qui réalisa sa célèbre toile entre 1805 et 1807, ne fit
pas attention à cette petite anticipation.
Un autre détail, amusant celui-là, mérite d'être rapporté. Les
croix de Légion d'honneur portées par les beaux officiers de la Cour
accrochaient facilement du bout de leurs branches aiguës les corsages de leurs
cavalières au cours des valses. C'est ainsi que l'on fut amené à souder les
petites sphères qui ont, depuis lors, terminé les branches de la
"croix".
L'Empire disparu, l'Ordre de la Légion d'honneur subsista, comme
furent maintenues d'autres créations napoléoniennes, Conseil d'Etat,… Cour des
Comptes, etc. Les dirigeants des régimes successifs que connut la France eurent
l'intelligence de garder l'Ordre, ses règles (ou à peu près), ses conditions
d'attribution. Les monarchies, les républiques ayant conservé l'Ordre, y
apportèrent les modifications inévitables d'autre effigie, d'autre légende,
d'autre couronne. L'Ordre continua d'avoir des contingents civils et
militaires, exception faite d'une période de quelques années à partir d'un
décret du 28 octobre 1870, abrogé le 25 juillet 1873, pendant laquelle seuls
les militaires pouvaient y prétendre. Seules nouveautés post-napoléoniennes, la
suppression des cohortes et, ultérieurement (troisième République),
l'impossibilité pour un ministre en exercice d'être décoré de l'Ordre.
Lors de la première Restauration, Louis XVIII conserva donc la
Légion d'honneur en même temps qu'il rétablissait les anciens ordres
monarchiques du Saint-Esprit et de Saint-Louis. Il conserva aussi les titres de
noblesse que l'Empereur avait voulus pour ses décorés dans les articles 11 et
12 du décret du 1er mars 1808. Par cet acte, les chevaliers de la Légion
d'honneur avaient aussi droit au titre noble de chevalier, sauf condition d'une
rente de 3.000 francs. Une définition des armoiries complétait le texte du
décret. En fait, les décorés ne portèrent guère leurs titres de noblesse, mais
les légionnaires usèrent volontiers jusqu'à la fin de l'Empire du droit au port
de la toque de velours surmontée d'une aigrette d'argent. La noblesse d'Empire
était reconnue transmissible en cas de décoration de l'aîné pendant trois
générations, et cette mesure fut prise par Louis XVIII. Plus tard, une rente,
devenue si faible qu'elle demeura symbolique, fut assurée aux décorés à titre
militaire.
Le décret du 1er mars 1808 prévoyait l'obligation de porter les
insignes de son grade dans la Légion d'honneur sur les vêtements de sortie;
cette obligation n'a jamais été abrogée à ce jour, mais n'est pas toujours
respectée.
En 1852 paraissait pour la première fois un "code de la
Légion d'honneur", relatif à l'organisation de l'Ordre, la forme de la
décoration et la manière de la porter, l'admission et l'avancement dans
l'Ordre, le mode de réception ou le serment, le brevet, la pension, la
discipline des membres, l'administration de l'Ordre. On sait que tout ce qui a
trait à l'Ordre relève de la Grande Chancellerie, en l'hôtel de Salm à Paris.
Le Grand Chancelier, qui est devenu aussi Chancelier de l'Ordre National du
Mérite créé par De Gaulle en 1963, est désigné par le Chef de l'Etat parmi de
hautes personnalités en principe militaires (mais rien ne s'opposerait à ce que
le Grand Chancelier soit un civil, comme pour Lacépède). Le Chef de l'Etat,
quelle que soit la forme de cet Etat, est le Grand Maître de l'Ordre, et il
porte, outre les insignes de Grand-Croix (dignité, on le sait, qui a succédé à
celle de Grand-Aigle), le collier orné de seize médaillons en or représentant
les principales activités humaines justiciables de l'Ordre. Ce collier a été
plusieurs fois modifié, au gré de certains Présidents et en fonction de la
reconnaissance d'activités nouvelles. Le Chef de l'Etat restera Grand-Croix même
après son départ.
Un certain nombre de grades ou échelons atteints par de hauts
fonctionnaires, ainsi que de grades d'officiers supérieurs ou généraux,
impliquent de façon quasi-automatique la nomination ou la promotion à certains
grades de la Légion d'honneur ; mais ces grades, voire ces dignités dans
l'Ordre ont tendance à s'amoindrir, car il n'y a plus de services de guerre à
considérer (heureusement !). C'est dire que les effectifs de l'Ordre, qui ont
depuis sa création beaucoup augmenté, ont atteint des sommets logiques avec les
deux guerres mondiales. De 24.000 membres en 1812, le nombre de légionnaires
est passé à 46.000 en 1814, 40.300 en 1830, 60.000 en 1850, 75.000 à la fin de
1871, pour redescendre à 54.500 en 1886 (dont 21.700 civils). Le vingtième
siècle a vu une prolifération de légionnaires. Déjà au nombre de 141.400 en
1929 (mais tous les survivants de la Grande Guerre officiers et cités plusieurs
fois étaient décorés depuis 1921), l'effectif passa à plus de 175.000 en 1933.
Les années qui ont suivi le Seconde Guerre Mondiale ont connu une inflation
considérable de décorés 286.000 en 1959, 302.000 en 1962, 300.000 en 1968,
296.000 en 1969. Ce fut au début de ce siècle l'occasion d'accuser l'Ordre de
donner lieu à un trafic payant. Nul ne saura jamais la véritable portée de
cette accusation.
Toujours est-il que, malgré l'absence de promotions durant les
années d'Occupation, où le gouvernement de Vichy aussi bien que celui de la
France Libre s'interdirent de décorer de la Légion d'honneur, une inflation
très importante du nombre de croix, de rosettes et de cravates incita le
général De Gaulle à tenter de ramener les décorations à un niveau raisonnable.
Il promulgua un nouveau Code, limitant le nombre des légionnaires, créa l'Ordre
National du Mérite, renforça les conditions pour être décoré de l'Ordre :
il faut actuellement justifier de vingt-cinq années de services dits
"éminents" (encore la distinction entre ces services
"éminents" et les services "distingués" exigés pour
l'Ordre du Mérite apparaît-elle délicate à apprécier !). De toutes façons, des
délais appropriés sont exigés pour des promotions à des grades ou dignités
supérieurs. Il faut même justifier de nouveaux services, sauf pour quelques
personnalités décorées au titre de la Guerre. Grâce aux nouvelles restrictions
apportées, le nombre des légionnaires est descendu à 120.000, et il ne pourra
plus (-sauf circonstances exceptionnelles et imprévues-) remonter au-dessus de
125.000, dont cent dix mille chevaliers.
Les collectivités (régiments, écoles militaires, ville ou
villages) purent être décorées à partir du Second Empire, pour des faits très
importants ou des actions d'éclat très remarquables. Ainsi, certains drapeaux
régimentaires ou certaines armoiries de cités s'ornent-ils de la Croix, à côté
souvent de Croix de guerre ou de Croix de la Libération, ainsi que quelques
collectivités comme la Croix-Rouge Française.
La décoration à titre posthume est possible pour les militaires ou
civils tués en service commandé, décédés des suites de blessures reçues au feu
ou en service, voire de maladies contractées dans les mêmes conditions. Un
décret du 1er octobre 1918 précise que les militaires des armées de terre, de
mer ou de l'air peuvent être nommés ou promus dans la Légion d'honneur (ou la
Médaille Militaire, qui avait été créée par le Second Empire pour les
non-officiers), après leur décès, sous condition que leur conduite au feu ait
fait l'objet d'une citation : le même décret dans son article 2, étend cette
mesure aux personnes non militaires, à condition que leur conduite ait fait
l'objet d'une citation parue au Journal Officiel.
Le prestige de l'Ordre à l'étranger a toujours été considérable.
Peut-être se rappelle-t-on l'anecdote de Goethe. Le célèbre poète allemand,
admiré et décoré par Napoléon, s'était vu fort critiqué par d'autres Allemands
car il portait toujours la Légion d'honneur après la chute de l'Empire. Alors
il porta une brochette de décorations sur une chaînette, parmi lesquelles
figuraient encore l'Ordre français, mais moins visible ; comme une
personne lui demandait laquelle des croix il préférait, il désigna la Légion
d'honneur avec un sourire. Depuis cette époque, beaucoup de personnalités
étrangères portent la Légion d'honneur avec une vive satisfaction ;
rappelons-nous le maréchal Joukov, le vainqueur de Berlin, ou le général
américain Patton, qui avait conduit les alliés occidentaux à la victoire ; plus
modestement, existe depuis 1922 je crois, une "Society of the French
Legion of honour inc.", très dynamique, qui rassemble les décorés
américains de l'Ordre, et se propose de faire apprécier aux Etats-Unis la
culture et la littérature françaises. De nombreux diplomates ou dirigeants
politiques ont reçu l'Ordre ; ils peuvent accéder directement à un grade ou à
une dignité sans passer par les grades inférieurs ; d'autres part, ils
sont "admis" dans l'Ordre et non "reçus" (les décorés
français ne peuvent l'être qu'après une cérémonie de réception, avec un parrain
ou une marraine d'un grade au moins égal).
Rappelons d'autre part que nombre d'ordres nationaux de nouveaux
Etats imitent la Légion d'honneur, sinon dans la couleur du ruban, du moins
dans l'aspect de la croix. Quand un citoyen français est décoré d'un ordre
étranger, il doit demander par écrit à la Grande Chancellerie l'autorisation de
porter cette décoration, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. et que l'intéressé
ne passe pas pour légionnaire s'il ne l'est pas.
Nous avons dit combien Napoléon était soucieux que l'Ordre soit
attribué aux civils comme aux militaires. Remettant la Croix à un industriel
fabriquant des toiles, il le compara à un soldat vainqueur des Anglais... Il
veilla à ce que fussent décorés des financiers, des hommes de science, des
écrivains, des médecins, des industriels. Seuls les acteurs, malgré son admiration
pour Talma, devaient selon lui en être écartés sous le prétexte qu'ils
pouvaient être sifflés.
Autre exception, et très remarquable : l'Empereur, qui était
misogyne, ne décora pas de femmes, sauf Marie Schellinck, mais elle avait
conquis le grade de lieutenant après maintes campagnes. L’injustice fut plus
tard réparée, et l'on sait que Napoléon III décora plusieurs femmes, dont le
peintre Rosa Bonheur. Mais il fallut attendre la cinquième République pour voir
un nombre convenable de femmes dans les promotions ; il est maintenant
question d'un nombre égal de femmes et d'hommes, et cela ne serait que justice
; encore faut-il que les actions et les mérites, seuls à considérer, soient
suffisants ; c'est la Grande Chancellerie et à son conseil de l'Ordre de
l'apprécier cas par cas. Ce que l'on doit noter, c'est l'incompréhension, voire
le mécontentement, de l'opinion (y compris de celle des légionnaires) devant
certains noms figurant dans les promotions depuis quelques années, on s'insurge
souvent en lisant les noms de sportifs, d'acteurs ou de chanteurs. Il faut
cependant admettre que, si l'on considère comme critère principal le renom et
le rayonnement national et international, la France n'est plus en mesure de
présenter des héros ou des as en matière de créativité artistique, sinon les
personnes tant critiquées. Le nombre de légionnaires est à apprécier en
fonction des contingents de chaque département ministériel, et ne doit pas
dépasser au total 115.000 à 125.900. Les dossiers des candidats proposés (et
non des "demandes") sont établis suivant ces conditions. Cependant,
l'amertume est grande de voir récompenser des mérites discutés, alors que
d'autres, estimés très supérieurs, telles les souffrances des grands mutilés,
paraissent ne pas être pris en considération (?)
Napoléon, dans le but de faire éduquer aux frais de l'Etat les
filles de ses soldats tombés au champ d'honneur, créa trois maisons
d'éducation, à Saint-Denis, à Ecouen et aux Loges. Madame Campan, qui avait été
amie de Marie-Antoinette et éducatrice des princesses, fut désignée pour
diriger Ecouen. Mais Louis XVIII, qui avait déjà été assez mal reçu à
Saint-Denis, où les filles refusèrent de le saluer, ayant compris tardivement
qu'une chanson écrite par Mme Campan était injurieuse pour lui, la fit partir.
Depuis, les maisons subsistent, acceptant les filles ou petites-filles de
légionnaires, dans des conditions d'excellente éducation.
Une "Association des décorés au péril de leur vie" a été
créée de façon privée, groupant une héroïque phalange qui s'est signalée sur
tous les fronts, de manière particulièrement éminente : elle a des antennes
dans toute la France.
Plus modeste, car groupant des légionnaires de tous bords, est la
Société d'entraide des membres de la Légion d'honneur, créée après la Guerre de
1914-1918 pour venir en aide aux légionnaires nécessiteux, par le Général
Dubail. Cette société qui rayonne sur le monde entier puisque ayant des
antennes dans nombre de pays étrangers, est articulée en sections
(départements, arrondissements des grandes villes, pays étrangers) et en
comités (villes de province, de moindre importance, quartiers de
Paris...) ; elle a actuellement pour buts, non seulement l'aide aux
sociétaires et même aux légionnaires non sociétaires (en légère majorité), sur
les plans matériel et moral, mais aussi "la défense du prestige de
l'Ordre", si menacé de nos jours.
Mai 2001
Certaines données sont tirées de la "Légion d'honneur"
de Pierre de Tartas, avec le concours de M. J. RENAUD, de M. W. BAUMGARTNER, de
M. Léon BINET; de M. M. GENEVOIX, de M. Ed. HERRIOT; du Maréchal JUIN, de M. LE
COQ de KERLÀND, de M. P. RICARD, du comte de SAINT-QUENTIN, de M. Georges
D'HEYLLI, et de la "Légion d'honneur" 1954, 1969, éd. spéciale du Gal
de C.A. TOUZET du VIGIER.
Docteur G. LABOURET
Combattant volontaire de la Résistance 1942-1944
Médecin-conseil des Amputés de guerre de France